Discipline : Conceptuel
/ installation |
Hughes Dubuisson
A l’instar de la mère nous accouchant et devenue séparée, inaccessible, il y a le désir de retrouver le ventre originel, de se sentir appartenir à ce qui nous entoure par le moyen de la fusion avec et dans la matière. Ainsi, pour le peintre, terrible complexé d’Oedipe d’avec Dieu et de l’Univers, vouloir devenir l’autre, devenir peinture et passer de l’état limité, fini d’humain, pensant et se mouvant à un état infiniment supérieur de ce que nous ne pouvons pas être étant vivant: matière informe, inerte, insensible, inhumaine, intemporelle, imperceptible, impalpable, in quantifiable, silencieuse en dehors de notre langage pour devenir continuité avec l’univers. A ce titre, tel l’arbre, la terre, la montagne ou la poussière invisible de cosmos, la peinture est présente et existe en-dehors de l’humain. L’artiste, le peintre lui-même n’étant que le médium, le moteur utilisé par celle-ci pour participer à sa propre autoréalisation.
Hughes Dubuisson, l’illusion organique et l’émotion exubéranteL'oeuvre semble flotter, relief mixte de saillies et de trouées, ambiguë de la lourdeur de sa masse et de la légèreté de ses formes. Elle s'adosse au mur et s'appuie sur l'oeil, de toute son énergie. Croûtes de matière et chatoiement de couleurs gavent la rétine, Le corps est pris a partie par une interrogation verticale, un affrontement organique. Dans le travail de Hughes Dubuisson, il y a, avant tout, un rapport à la matière, une matière qui se dédouble, comme s'il s'agissait de mieux se laisser décrypter ou, dans l'echange, de découpler deux dynamiques. D'un côté, la matérialité de la peinture; de l'autre, la terre, la boue, la glaise dont le mythe raconte qu'elle servit à façonner le premier homme. Le corps, ici, s'entend rappeler ses origines terraquées, s'envisage comme une structure mêlée de viscères et d'émotions. Face à l'oeuvre, l'épreuve est, à la fois, physique, tactile et visuelle se déroule dans des flux croises d'énergie. Elle établit un dialogue primordial, sauvage presque, brut. Au départ, il y a le choix d'un tableau rectangulaire. De loin, le regard perçoit une filasse, un ton dominant et des touches de couleurs, souvent assourdies. De près, il s'avère que le tableau est bossué, traite en courbes et creux par empâtements. S'agit-il d'une montagne, avec ses traces de rochers, ou d'une vallée à la végétation diversifiée qui serait vue du ciel comme une carte en relief ? L'oeuvre n'est pas figurative, rien ne permet de l'affirmer. La peinture, toutefois, dans ses nuances comme dans son épaisseur, le laisse penser. Dans l'expérience nouvelle d'un tableau sans frontalité --autour duquel il faut tourner pour découvrir les lumières et les parts d'ombre--, un lien instinctif resurgit d'emblée réveillant le mythe ancien d'une harmonie avec la nature ou le rythme perdu d'un accord aux cadences des saisons. Après, viennent les structures verticales, aux formes idéales pour interroger le corps des spectateurs, pour se donner --illusion de la peinture-- comme organisme vivant auquel il faut s'affronter, à moins de s'y égarer. Il y a de la violence dans les protubérances et de la tendresse dans les rondeurs, du mystère dans les creux, les raccords, une insondable profondeur dans les trouées. L'ensemble s'ajuste, abouti, comme la vie s'arrange du désordre et du hasard des jours. Plus tard, naîtront sans doute des formes disloquées, des tableaux en morceaux, en lambeaux. L'idée de fragment fait son chemin, lentement, pour intégrer l'éparpillement et la cohérence, donner une identité à l'informe. Peu importe la structure de l'oeuvre, il n'est jamais question de sa mise en scène ou d'un discours sur son processus. II n'y a pas, je l'ai dit, de figuration, mais pas non plus d'abstraction, rien que du concret, du réel, peut-être, s'il était définissable. II n'y a que de la peinture, cette pâte huileuse qui se donne à lire aussi bien dans sa masse que dans son éclat. Disons une peinture aux illusions organiques qui s'amuse avec la rétine et s'approprie la syntaxe débridée des émotions. La nature n'obéit à aucune loi. Elle se développe et s'impose dans le chaos puis, peu à peu, se régule sans complaisance, s'équilibre. Dans le travail de Hughes Dubuisson, il n'y a pas d'état d'âme; seule, l'exubérance parait à sa place, enracinée dans un long frémissement. Jack Keguenne avril 2000
Peintures OrogéniquesNombreux ont (ré)clamé sa mort. Mais à chaque fois, la peinture n'a cesse de naître et de renaître, sous de nouvelles formes, opposant à un processus qui se voulait inéluctable et définitif, des réponses tangibles imparables. D'interrogations sur sa fonction représentative en résistances à I'omnipotence de I'image, d'analyses distanciées de ses propres composantes en exploitations effrénées de ses potentialités, la peinture trouve autant de raisons de continuer à être. C'est dans cette voie vitale que Hughes Dubuisson s'est engagé, renouant avec une appréhension matiériste de la peinture, forme peut-être la moins tolérée en cette période que caractérise I'usage du lisse et du diaphane. Pourtant, avant d’être couleur, forme ou tout autre chose, la peinture est matière, tangible et palpable. L'organiser en tableau impose au peintre de s'y mesurer dans une relation de corps à corps. Et c'est de cette confrontation prioritairement physique avec la matière que naissent les oeuvres de Hughes Dubuisson. Ses peintures renoncent effrontément à la planète du tableau pour se répandre dans I'espace, comme animées d'un processus organique autonome, n’obéissant à d'autres logiques que celle qui les anime. Comme les mouvements orogéniques des plaques telluriques peuvent enfanter les montagnes, la peinture fait naître les aspérités, les turbulences de I'écorce, mais creuse aussi les anfractuosités secrètes où se fige la trace du geste et se rétracte la lumière du (premier) jour. En façonnant la peinture avec I'ambition d'un démiurge convaincu des possibilités de la matière - même s'il doute parfois de lui -Hughes Dubuisson soulève les questions essentielles de inexistence : celle de I'origine, celle de la fin qu'elle postule immédiatement - vieille mise en garde des vanitas- et celle du sens de ce cheminement inéluctable qu'est la vie. Pierre-Olivier ROLLIN
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San titre, silicone polyuréthane sur bois, 250 x 250 x 180 cm., Châlet de Haute Nuit, Bruxelles, mai 2001
Intervention sur le lieu pour l'exposition "D'une chose à l'autre" Brasserie des Alliés - Charleroi, mai 2000
Peinture, huile mastic polyuréthane sur bois, 30 x 163 cm., Centre Cultrurel Jacques Franck, mars 99
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